De 1960 à 1963, Stanley Milgram (1933-1984), psychologue social américain, réalise une expérience effrayante sur la soumission à l’autorité de l’être humain.
En gros, il démontre qu’un sujet, sous l’injonction d’un représentant de l’autorité (ici un expérimentateur-acteur) est capable d’électrocuter un apprenant-acteur sensé répondre à des questions du sujet. Bien que l’expérience ait suscité beaucoup de commentaires quant au protocole, elle est de toute façon probante quant à l’effet du discours intimidant et infantilisant de l’expérimentateur sur l’action punitive (de façon gravissime quant les décharges électriques atteignent 450 volts) et finalement la lâcheté humaine devant l’autorité. [1]
Ceci dit, Freud l’avait magistralement démontré en 1921 dans « Psychologie des masses et analyse du moi » [2] et l’expérience aurait été inutile. Comme Freud est très en vogue en ce moment, il serait peut-être utile de le relire pour comprendre à quel point la psychanalyse est un référentiel fondamental pour comprendre l’être humain au-delà du visible surtout dans les situations incompréhensibles et déroutantes.
Télérama n° 3139 du 13 au 19 mars 2010 titre « La terrifiante expérience du documentariste Christophe Nick ; La télé donne le droit de tuer ? ».
L’hebdomadaire fait référence à une émission expérimentale (un jeu bidon de reality-schow [3]) où l’équivalent de l’expérience de Milgram est reprise sauf que les sujets deviennent ici des joueurs dans une émission de télévision.
Il est clair que le protocole ne tient pas en toute rigueur scientifique (par exemple, ce n’est pas n’importe quel profil psychique qui veut jouer à la télé… c’était déjà vrai en 1921 dans l’expérience de Milgram, à savoir que ce n’était pas n’importe qui pour se prêter à une expérience dans un laboratoire).
Tous les médias en gros traitent cette question de la même manière qui est de se demander si la télé peut amener des gens à devenir des meurtriers et/ou des sadiques dangereux. L’expérimentateur est ici le faux animateur télé qui a évidemment un discours intimidant et déculpabilisant. Le résultat montre en gros que 81 % des « joueurs » obéissant jusqu’à l’extrême (460 volts) et il y a un mort potentiel.
Une fois de plus, il est clair que le discours tenu aux joueurs est très important, que les joueurs sont des personnes au profil particulier (hyperdapté ?) et que statistiquement, il n’est pas dit que 81 % de la population générale agirait ainsi. [4]
Ceci étant dit le problème est-il bien posé : un animateur télé, en induisant une soumission grave de l’humain, peut-il inciter des gens à tuer dans un jeu télévisé ? La télé peut-elle inciter à des actes gravissimes ?
La réponse est de toute façon juste : oui dans certaines circonstances.
La réponse est statistiquement fausse : non, pour certaines catégories de population (par exemple, on peut supposer qu’un échantillon dans une population ayant le profil psychique des collaborateurs de la guerre 39-45 n’aurait pas donné le même résultat que dans une population de résistants).
La vraie question n’est-elle pas celle de la conscience humaine ? Celle du mal ordinaire et absolu ?
Toutes les guerres, surtout idéologiques (celles basées sur le nettoyage ethnique par exemple), le prouvent : dès qu’un ordre de massacre est donné et pris psychiquement en charge par un chef charismatique souvent psychopathe, les horreurs se répandent comme une traînée de poudre car la culpabilité individuelle est levée (or, on sait que ce sentiment tant décrié est celui qui permet à la société de tenir à l’intérieur de limites acceptables à la fois pour le groupe et l’individu).
Dans les expériences relatées ci-dessus, ce qui est pour moi central et attire le regard, excepté que l’être humain est capable du pire, renvoie au fait que ce sont les normopathes (les personnes hyperadaptées à la société ayant un profil aimable, étale, ne posant apparemment aucun problème socialement, soumis à l’idéologie dominante) qui sont ceux qui sont susceptibles de torturer à mort.
En revanche, les personnes qui n’adhèrent pas, résistant au sort que leur fait la société, finalement sont rebelles, ne torturent jamais virtuellement à mort l’acteur-cobaye dans les expériences relatées précédemment.
Il est évident que de telles données invitent à réfléchir sur l’organisation sociale, le poids du discours des dirigeants et des figures emblématiques sur les citoyens et les conséquences graves qui peuvent en découler (une démocratie déclinante à minima, une montée de l’autoritarisme et de la perversion politique face à une passivité grandissante de la population).
Christian JEANCLAUDE
STRASBOURG
Notes
[1] Voir la description complète sur Wikipédia, soit http://fr.wikipedia.org/wiki/Exp%C3%A9rience_de_Milgram
[2] Œuvres Complètes de Freud.Psychanalyse, XVI, Paris, PUF, 1991 : 1-83.
[3] Sur France 2 le 17 mars 2010.
[4] Voir l’essentiel du débat ici : http://lgvsite.canalblog.com/archives/2010/03/24/17338215.html